U N F A U T E U I L P O U R T R O I S |
Éditions Plaisir de Lire
Collection Frisson
Quatrième de couverture
En fine observatrice de ses contemporains, Catherine Gaillard-Sarron s’inspire d’événements du quotidien et les transforme en récits extra-ordinaires grâce à une imagination peu commune. |
Ce recueil se compose de dix nouvelles fantastiques.
Postface de Pierre Yves Lador.
2009 - 10 Nouvelles - 177pages
Nouvelles extraites du recueil Un fauteuil pour trois
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La dernière garde | L'arbre | Télé à chat | Un fauteuil pour trois |
"Elle les vit tous, chenus et décrépits qui lui souriaient de leurs mâchoires béantes et noires! "
Extrait Elle avait réussi à s’échapper en prétextant de la fatigue, les mauvais chemins et surtout un rendez-vous important tôt le lendemain. Personne ne l’avait vraiment retenue. Ses hôtes avaient juste un peu insisté pour la forme. La fête continuerait sans elle et c’est sans regret qu’elle referma la porte sur les rires et les flonflons. Dehors la nuit était glaciale. Il avait beaucoup neigé ces derniers jours et sous le ciel piqueté d’étoiles, le paysage, minéral et surréaliste, étincelait de mille reflets d’argent. Mais Maude ne s’arrêta pas au spectacle scintillant sous la lune, le froid intense la transperçant de ses aiguilles acérées. Elle s’engouffra dans sa voiture, mit le moteur en marche, le chauffage à fond et démarra. Le tableau de bord indiquait une température extérieure de moins vingt-neuf degrés. Elle nota machinalement l’heure : 11 h 50 et la date : 29 janvier 2005. Elle roulait prudemment, lentement, ses yeux brûlants et rougis par la fumée scrutant la route recouverte de neige glacée. Maude habitait la région du Jura français depuis une dizaine d’années. Elle aimait en contempler les paysages superbes et presque sauvages, mais supportait mal les conditions climatiques qui y sévissaient l’hiver. Lorsqu’elle avait vu le temps, elle avait hésité à prendre la route. Un instant, elle avait même songé à appeler son amie à la Brévine pour se décommander. Au dernier moment, pourtant, elle avait choisi de se rendre à cet anniversaire. Après tout, la fête ne se déroulait qu’à une quinzaine de kilomètres de chez elle et cela lui changerait les idées. Elle sortait peu et les invitations étaient rares à son âge. A l’instar de son amie ce soir, elle avait fêté ses soixante-huit ans au début du mois de décembre. C’est d’ailleurs pour fuir un peu son isolement qu’elle avait vendu la maison familiale au décès de son époux et loué un petit appartement aux environs de Morteau. Quant à ses deux enfants, ils vivaient et travaillaient à l’étranger, leurs visites étaient rares. Dans la voiture, le chauffage était enclenché depuis cinq bonnes minutes mais Maude ne parvenait pas à se réchauffer. La buée couvrait une partie des vitres et malgré ses lunettes elle avait de la peine à distinguer la route. La bise soufflait à nouveau et tout se confondait dans un blanc uniforme. Habituellement, lorsqu’elle conduisait de nuit, elle pouvait suivre la ligne blanche, mais là elle n’avait plus aucun repère. Seigneur, pourquoi avait-elle si froid ? En dépit des gants de laine qu’elle portait, ses mains étaient complètement gelées. Et puis cette intense fatigue qu’elle ressentait depuis un moment. Elle n’avait menti qu’à moitié à son amie tout à l’heure. Elle se sentait terriblement lasse soudain – comme si son énergie fuyait par tous les pores de sa peau. Elle était vraiment à plat. Maude jeta alors un regard à la montre du tableau de bord et constata qu’il était presque minuit. Le calendrier numérique amorçait le changement de date. Elle éternua. Son regard se porta aussitôt sur le curseur du chauffage. La ventilation, assourdissante, était au maximum mais ne semblait curieusement dégager aucune chaleur. Maude était frigorifiée. Elle tremblait et claquait des dents à présent. Sa voiture n’étant plus de première jeunesse, elle pensa avec un serrement de cœur : « Pourvu que je ne tombe pas en panne dans ce coin perdu ! » Nouvelle lue à la radio le 14 juin 2012 : lien RTS. |
Extrait En cette fin de mois de juin, assis derrière les vitres de sa masure, Milo, tourmenté et agité, observait l’arbre dressé au milieu des rocailles. Situé à quelques dizaines de mètres de lui, en plein milieu d’un paysage sec et aride, c’était un grand chêne massif et noueux, presque millénaire. Sa frondaison était dense et cachait, il le savait pour l’avoir constaté au fil des hivers, une ramure anormalement fournie. L’arbre avait une particularité bizarre : bien que son feuillage fût abondant, les extrémités de toutes ses branches apparaissaient à découvert. De loin, l’effet était saisissant : émergeant de la masse compacte et verte, les fines ramilles donnaient l’impression de mains suppliantes tendues vers le ciel. Les soirs d’orage, les éclairs qui l’illuminaient de leurs violents éclats blancs accentuaient encore la ressemblance et lui causaient de grandes frayeurs. Et les jours de grands vents, étaient-ce ses propres angoisses ou des hallucinations dues à ses beuveries qui le tourmentaient ? Il était presque sûr d’avoir entendu comme des plaintes humaines venir de l’arbre ou des branches. Milo n’était pas couard ni poltron. Plusieurs fois, il avait essayé de s’approcher de l’arbre mais, à chaque tentative, il avait perçu quelque chose de malsain planer autour de lui ; une présence invisible et maléfique : un souffle qui l’avait glacé. Une force puissante émanait de ce chêne et l’attirait : un magnétisme irrésistible qui lui fichait une peur bleue. Encore maintenant quand il y songeait, il en avait des frissons et ses poils se hérissaient sur sa peau. Pour lui, l’arbre était vivant. Il respirait… et quelque chose battait au cœur de ses fibres ; quelque chose qui lui donnait ou lui apportait une énergie qu’il ne savait pas comment nommer, mais que l’on sentait alentour. L’arbre lui faisait peur ; c’était son ennemi... son rival... Personne n’avait voulu l’écouter. Pourtant, quand Vénus avait disparu, il avait essayé de dire les choses qu’il avait vues, mais les gens s’étaient moqués de lui et l’avaient ridiculisé. Ensuite, il n’avait plus eu envie ou plus pu dire ce qu’il savait. Avec le temps, lui-même avait commencé à douter. Blessé, il avait quitté le village. Une force inconnue l’avait alors poussé à venir s’installer dans les parages de l’arbre... à proximité de la maison où il avait vu se dérouler toutes ces choses. Depuis, avec pour compagnes la solitude et la folie, il veillait et attendait anxieusement les solstices d’été. Car ces soirs-là, des faits étranges se produisaient sur la lande. Depuis plusieurs années qu’il vivait là et qu’il surveillait l’arbre, il avait remarqué que toutes ces nuits, noires comme de l’obsidienne, étaient silencieuses et sans lune. Bien qu’il fût courageux, jamais encore il n’avait osé s’aventurer hors de sa maison pour voir ce qui se passait dehors. L’obscurité totale, la malfaisance qu’il sentait émaner de l’arbre et l’angoisse qui l’habitait le paralysaient. Année après année, il se disait qu’il affronterait l’arbre mais, à chaque fois, quand les horribles bruits s’élevaient dans la nuit, la peur le pétrifiait. Depuis le lit où il se terrait, ces craquements, qu’il ne pouvait définir, s’engouffraient par tous les interstices de la cabane et la faisaient trembler épouvantablement. Il avait l’impression que dehors quelqu’un arrachait les dents monstrueuses d’une bouche qui l’était plus encore. Il entendait des choses s’abattre en pluie sur le toit de sa cahute. Il pensait à des petits cailloux ou de la terre. Il s’imaginait alors qu’on l’enterrait vivant et que la maison était son cercueil. Des frissons parcouraient tout son corps; lui aussi tremblait. Alors, pour se donner du courage, il buvait de la gnôle et tentait d’oublier cette horreur en s’enivrant. C’est pendant ces longues nuits-là, qu’ivre mort, il sombrait dans une sorte de torpeur qui faisait remonter des flots de souvenirs à sa conscience : souvenirs qu’il avait enfouis au plus profond de sa mémoire et qui ne revenaient le hanter qu’aux solstices d’été. Il avait trente-deux ans, Vénus vingt. Elle était si belle qu’il était tombé fou d’amour au premier regard. Après une cour assidue, elle aussi avait succombé à son charme ténébreux. Ils s’étaient aimés avec passion, à la folie. Mais le temps avait passé, flétrissant les élans de jadis. Puis l’habitude s’était installée et Vénus s’était éloignée. Émile, lui, l’aimait toujours follement et malgré ses efforts pour la distraire, elle s’ennuyait. Peut-être que s’ils avaient eu un enfant… Cet été-là, en dépit de ses trente-cinq ans, Vénus était plus belle que jamais. Éperdu d’amour, Émile craignait constamment de la perdre. Il ne pouvait imaginer la vie sans elle. Il se souvenait du jour où était arrivé l’étranger. Le gars s’était installé près de la taverne du village et grattait une vieille cithare à longueur de journée. Il était beau, jeune et insouciant. Émile avait immédiatement ressenti de la jalousie envers cet homme, libre comme le vent qui soufflait dans ses cheveux longs. Et il avait compris que Vénus lui échappait ; qu’elle aussi subissait l’appel irrésistible de cette liberté. Le gars l’avait séduite ; ça aussi, il l’avait senti. Malgré les dénis passionnés que Vénus lui avait opposés, leurs étreintes n’avaient plus été les mêmes ; quelque chose avait changé, quelque chose s’était cassé. Nouvelle lue à la radio le 10 sept. 2010 et le 31.10.14 : lien RTS. |
Texte intégral
Haut de pageLe chat de mon ami est un chat ordinaire, il rit tout le temps. Ce qui ne me pose aucun problème en soi, sauf quand Hall part en vacances et que je deviens le gardien… ou le prisonnier de son félidé ! Mon ami s’occupant de mes plantes vertes lors de mes congés, je m’occupe de son chat lorsqu’il est absent. C’est bien normal, me direz-vous ! Un échange de bons procédés qui renforce l’amitié et la solidarité. Soit ! A la différence près, cependant, que mes plantes vertes ne se moquent pas de mon ami. Je garde son chat depuis maintenant cinq ans et j’avoue que je ne supporte plus de l’entendre rire dans mon dos. Son humour me dépasse. Je ne le comprends plus. Allez savoir pourquoi ! C’est pourtant un chat tout à fait ordinaire qui ne rit pas plus que les autres. Mais je ne sais pas, il a à présent une façon de se marrer qui me met de plus en plus mal à l’aise. Par exemple quand je regarde « Star Alacon » ou « Tapadpocantha » à la télé, je vous jure qu’il pouffe. De plus, sa façon de se hisser sur le dessus du canapé et de me toiser d’un air hautain lorsque je regarde « Qui veut gagner des clopinettes » ou « Le maillon débile » m’est devenue franchement insupportable. Je me suis même surpris à baisser le son quand Hypocrite Jipé ou Lolo Tortellini font monter le suspense. Là, il s’esclaffe sans retenue. En sa présence, il m’arrive même de me sentir honteux de mes choix. Un comble tout de même ! Je suis encore chez moi ! D’ailleurs, je me demande si la nourriture n’y serait pas pour quelque chose : sorte de dérèglement alimentaire qui influerait sur son humeur ou ses hormones ! Toujours est-il que, de plus en plus, je jette un oeil inquiet dans sa direction lorsque que je choisis une émission. S’il pouffe, je zappe, jusqu’à ce qu’il consente à descendre du canapé et à venir vers moi. Si le programme lui convient, il va jusqu’à se coucher sur mes genoux. Il daigne même ronronner si je lui mets Planète ou Arte. J’en suis arrivé au point où je n’ose plus regarder mes émissions préférées. C’est lui qui décide. Si par hasard, je lui tiens tête et que je persiste à suivre une série qu’il n’aime pas, il reprend sa place sur le haut du divan, m’observe avec condescendance et dédain et se met à glousser durant toute la diffusion. Tous les chats rient, je le sais, mais là, ce n’est pas du tout un rire de chat normal. C’est un rire railleur, ironique, narquois, impertinent, sardonique parfois ! Un rire étrange qui me dérange ! Je vous vois venir. Non ! je n’ai pas besoin d’un psy ! Si tous les chats rient, ce chat pitre là me met en boule et me hérisse le poil ! Et ce n’est pas parce qu’il se nomme Démocrite qu’il a tous les droits ! Oh, j’ai bien essayé de lui en parler mais rien à faire. Il ne veut rien entendre. A chaque fois que je tente une approche, il part en me gratifiant d’un regard dédaigneux et en remuant avec ostentation sa queue de pacha sous mon nez. Puis il reprend sa place favorite, en haut du canapé, et me nargue avec une morgue incroyable. Là, il se trémousse d’abord en proférant de petits gloussements à mon attention, puis il plisse les yeux de telle façon que j’ai l’impression d’être transpercé par deux rayons lasers. Ensuite de quoi, il retrousse ses babines sur ses petites dents pointues et blanches, sa moustache se met à frétiller comme les hélices d’un avion et toute sa face s’épanouit dans un rire goguenard qui le secoue plusieurs minutes. La honte me submerge. Je n’en peux plus de le voir se bidonner à mes dépens ! L’autre jour, alors que je regardais mon émission préférée, « Super connerie », il a commencé à se poiler d’une façon si désagréable que je l’ai attrapé par le cou et jeté par-dessus le canapé. Sans se démonter, il est remonté illico sur le dossier du fauteuil et je vous jure, il s’est mis à rire à gorge déployée en me considérant avec mépris. Il s’esclaffait littéralement. Je voyais sa gorge rose et sa luette trémuler dans son gosier. J’ai cru devenir fou. Je me souviens lui avoir hurlé que « cha chuffisait, que che n’en pouvais plus », mais il a continué à se désopiler avec insolence. Puis je l’ai supplié. Alors, comme s’il n’attendait que ça, il s’est approché de moi. Étonnamment, je me suis poussé sur le côté, servile. Il m’a regardé d’un air triomphant, s’est assis à ma place, a posé délicatement sa patte sur la télécommande et, sans me quitter des yeux, a allumé la télé… Depuis plusieurs jours, je suis prostré sur le dessus du canapé et je l’observe. Figurez-vous que je ne regarde plus la télé : je regarde le chat regarder la télé. Scotché à l’écran et bombardé de rayons gammas, Démocrite ne rit plus. Et vous allez vous marrer mais, à force de le regarder regarder la TV, je me surprends de plus en plus souvent à pouffer. Tiens, l’autre jour, pendant qu’il regardait « Télé Achats », je me suis même mis carrément à rire. Et quand il a levé les yeux vers moi avec un air de réprobation, j’y ai vu alors tout ce qui l’avait fait rire ! 1er Prix nouvelle concours Montmélian 17.11.07 |
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Il s’arrêta net, légèrement déséquilibré par l’élan, soudainement frappé par la pertinence de l’interrogation qui venait de jaillir dans son cerveau : pourquoi courait-il ? Planté au beau milieu du chemin, il ne bougeait plus, pétrifié par tout ce que sous-tendait cette simple question. Par Palin que lui arrivait-il ? Il remettait tout en question ces derniers temps. L’automne peut-être ? Avec ses chasseurs et ses feuilles mortes, cette saison le plongeait dans un cafard toujours plus noir. Certes, il vieillissait, mais alors que son ouïe et sa vue baissaient, son activité psychique, bizarrement, ne cessait de se développer. Était-ce la nourriture de plus en plus délétère qui induisait ce genre de mutation ? Ce phénomène l’inquiétait ! Devrait-il se résoudre, comme nombre de ses congénères, à consulter le psy Rabbit, installé depuis peu à la Garenne ? Désorienté, il s’était laissé choir sur l’herbe, le cœur battant et l’œil aux aguets. La prudence était le trait le plus marquant de son caractère. Il savait le devoir à ses ancêtres, à ses gènes. Cette prudence, cependant, il ne la supportait plus : n’était-elle pas liée aux craintes perpétuelles qui pourrissaient sa vie? N’était-ce pas cette même prudence écœurante qui le faisait détaler au moindre bruit et le faisait courir comme un dératé du matin au soir? Il en avait assez ! Il ne voulait plus courir pour rien. Juste par déterminisme ! Confusément, il ressentait le désir de se mettre en danger afin d’avoir une véritable raison d’exister. Il éprouvait soudain la profonde envie d’inverser la donne, de ne plus s’enfuir : d’être à la place du chasseur en quelque sorte ! Au fond, quand il y songeait, c’est avec précision qu’il pouvait situer le moment où tout avait commencé. Cela remontait à sa mésaventure avec Hasette. On peut dire qu’elle l’avait bien fait marcher, cette gredine ! Il la revoyait encore ! Et vas-y que j’ondule de la croupe et que je te fais l’œil langoureux ! Et vas-y que je saute… allégrement de l’un à l’autre ! Ah, que ne lui avait-on pas rebattu les oreilles avec cette histoire ! Après ça, tout était retombé d’un seul coup : le désir, les bras, les oreilles… et le reste ! Même le carotiagra n’y pouvait rien. Il y avait cru pourtant à cette romance pastorale… jusqu’aux fameux lapins qu’elle lui avait posés… devant sa porte, le jour de Pâques avant de se tirer. Il en était resté tout chocolat. Il ne l’avait jamais revue. Selon la rumeur, elle s’était acoquinée avec un certain Lapperraux et faisait l’hôtesse dans un cabaret de la Garenne. Un chaud lapin et une coureuse de lièvres, décidément ils faisaient la paire ! Rien ne l’empêchait plus, désormais, de frétiller du pompon et des oreilles sous le nez gourmand des chasseurs de tout poil. Une « Bunny Girl »! Voilà ce qu’elle était devenue ! « Une autre façon de passer à la casserole ! » pensa-t-il avec amertume. Le vent agitait sa moustache et emmêlait les poils blancs qui couvraient son poitrail. Soudain, une odeur qu’il aurait reconnue entre mille lui chatouilla les narines. Il crut défaillir tant son dégoût fut grand : du civet de lapin ! Il se sentit très vieux tout à coup. Inutile et dérisoire dans ce monde cruel. Il n’avait plus du tout envie de courir. Pour qui, pour quoi ? Et après qui ou quoi ? Pour lui, de toute façon, pas de victoire ou de médaille à l’arrivée comme en recevaient ces étranges bipèdes qui parcouraient la campagne en sautillant sur deux pattes. Pourtant, avec sa belle prestance et sa toison blanche, longtemps il avait cru pouvoir faire carrière dans la prestidigitation. Il se souvenait de son ami, Ted Lapinus, lui narrant ses illustres aventures alors qu’il travaillait pour le grand illusionniste Lapax. Combien de fois, après ces rencontres, ne s’était-il vu jaillir du chapeau noir du magicien, n’avait-il entendu les applaudissements de la salle, pétrifiée d’étonnement. Il ferma les yeux un instant, comme pour mieux jouir de ces souvenirs magiques. Au mieux, pensa-t-il avec lucidité, je finirai ma course seul et crevant de trouille dans un terrier subventionné, au pire, en tapis ou en civet sur la table d’un de ces chasseurs du dimanche. Au mépris de toute prudence, il referma les paupières sur son rêve. La foule applaudissait toujours quand la détonation retentit soudain comme un glas dans sa tête. Sa moustache frémit lorsque l’éclair le souleva et le traversa de part en part. Il retomba avec grâce sur l’herbe tendre, sa toison soudain écarlate l’enveloppant comme une cape de magicien. Dans un ultime tour, Jeannot lapin venait de disparaître.
2e Prix conte concours Montmélian 18.11.06 Haut de page |
Extrait Il est environ midi en ce jour de l’été 2035 lorsque se produit la première déflagration, mais c’est à la seconde seulement, cataclysmique, que chacun, véritablement, prend soudain conscience de ce qui se passe. C’est à cet instant précis que le matricule 858'000, et tous les autres avec lui, comprennent ce qui leur arrive. L’impensable s’est produit. L’impensable est là ! Comment y croire ! Comment ne pas hurler face à l’incommensurable bêtise humaine. Ils ont osé ! Ils attaquent ! Alors instantanément, comme mue par un seul mouvement de panique, la foule noire et hurlante se met à déferler en tous sens. Tel un raz de marée dévastateur, elle se propage et répand son flot sauvage et hystérique dans toutes les directions. Pareille à une rivière en crue, elle sort de son lit et se met à déborder, engloutissant tout sur son passage. Dans cet univers subitement ravagé par la violence, ce qui semblait jusqu’à présent sensé et solide s’effondre d’un seul coup. En un instant, tout ce qui constituait la vie de la communauté bascule dans le chaos. Plus de règles. Plus de lois. Ne subsistent que la terreur et la mort. Piégée par la folie des hommes, la population, devenue brutalement otage, est immolée sans autre forme de procès sur l’autel de la barbarie. Coincé au milieu de la foule hystérique, le matricule 858’000 tente de garder la tête froide. Malgré la pression suffocante qui s’exerce sur lui de toute part et la peur qui lui broie les tripes, il réfléchit à toute vitesse. Plusieurs questions se pressent dans son esprit perturbé : qui sont les assaillants ? Et pourquoi les attaquent-ils ? A-t-il une chance de s’en sortir ? Si oui, dans quelle direction doit-il aller pour sauver sa peau ? Une question pourtant lui semble prioritaire et vitale : comment s’extraire de la foule ? Il a conscience que s’il veut avoir une chance de s’en tirer, il lui faut absolument sortir de ce fourmillement de membres et de têtes. Emporté par la masse grouillante, il lutte de toutes ses forces pour s’en extirper. Autour de lui, c’est la confusion la plus totale. Il enregistre et désespère. Les soldats, pourtant aguerris, semblent inefficaces et incapables d’assurer la défense. Tout est irrémédiablement désorganisé. Le système tant vanté est réduit à néant. Mais que faire face à une pareille sauvagerie ? Et qui, véritablement, peut agir contre un ennemi invisible qui, sans même l’ombre d’un avertissement, envahit et saccage votre territoire ? Écrasé par la masse de tous ceux qui fuient, il regarde ses congénères avec désolation. Tous ont l’air de chercher quelqu’un ou d’être perdus. Lui aussi est seul. La rapidité de l’agression et la panique qu’elle a engendrée ont tout séparé, tout fait exploser. Complètement hébétés, certains avancent portés par la seule force de la foule et semblent déjà morts. D’autres, comme déprogrammés, agitent leurs membres en tous sens en émettant cris ou plaintes. Et puis il y a tous ceux qui tapissent déjà le sol. Ceux qui statufiés par la peur se sont arrêtés net, devenant des obstacles pour les autres qui les ont écrasés sans remords. À une vitesse hallucinante les corps qui s’empilent par centaines viennent bloquer les voies encore libres. Mais ce qui choque le plus le matricule 858’000, ce sont les regards hallucinés des survivants qu’il croise, regards exorbités par l’inconcevable et vides de tout ce qui les animait quelques minutes auparavant… Des siècles, lui semble-t-il à présent ! Comment imaginer qu’en un si court instant, un monde, son monde, est en train de disparaître sous ses yeux. Quelques minutes encore et il n’y aura plus rien ! « Je vais mourir », pense le matricule 858’000 avec lucidité. « Nous allons tous mourir, exterminés ! Comme ça ! Sans raison apparente ! Sans sommation ! » Haut de page |
Extrait
La douche, où j’avais alterné les jets brûlants et glacés, m’avait fait du bien. Propre et rasé, je me sentais légèrement mieux. Dans l’espoir naïf de retrouver un peu de sa présence, j’avais revêtu le peignoir d’Allan, mais le parfum de son eau de toilette qui imprégnait l’éponge me fit une nouvelle fois monter les larmes aux yeux. Comment allais-je vivre sans lui ? Assis à la table de la cuisine, je me forçai à manger, histoire de ne pas être ivre au premier verre, mais l’appétit n’y était pas. Allan hantait mes pensées et l’espace. Après un frugal repas, j’attrapai la bouteille de scotch et me dirigeai vers le salon. Je me roulai un joint du meilleur cannabis, posai la bouteille et un cendrier sur la table basse et enclenchai le lecteur CD. Les premières mesures du 2e Concerto pour piano de Rachmaninov s’élevèrent dans la pièce. Je tamisai les lumières, allumai mon joint et enfin, télécommande en main, m’installai dans le fauteuil offert par Anna. Ma détente fut immédiate, extraordinaire. J’en soupirai d’aise en exhalant avec délectation la fumée âcre qui me faisait déjà tourner la tête. Le confort et la mollesse de ce fauteuil étaient tels que j’avais l’impression surprenante… d’être entre les bras d’une femme gironde et bien en chair. Cette idée me fit sourire. Je me demandai si Allan avait eu la même sensation et comment il avait réagi ! Le cuir était souple, satiné, d’une douceur quasiment incroyable. Mon corps épousait parfaitement la forme anatomique du relax et ma fatigue semblait s’être dissipée d’un coup. Je me sentais si léger. J’avais le sentiment merveilleux de baigner dans de la volupté pure. À ce stade de mes pensées, je me dis que cette herbe était sacrément bonne. Les sensations inouïes que j’éprouvais ne venaient certes pas du fauteuil mais ce dernier, par son confort, les magnifiait, les sublimait littéralement. Jamais de ma vie je n’avais ressenti un tel plaisir. Et encore ! je n’avais pas testé les différentes fonctions de massage. Après une bonne rasade de scotch, j’essayai le premier programme. Presque en rythme avec la musique, une vibration discrète et surprenante me parcourut le dos et se propagea comme une onde bienfaisante jusque dans mes mollets. Je compris alors que le repose-pieds était relié au fauteuil et bénéficiait des mêmes fonctions. Je laissai un moment les petites mains mécaniques parcourir mes reins et les malaxer avec douceur. Tout mon corps se détendait, se relâchait avec des soupirs de contentement. Je fermai les yeux un moment pour mieux apprécier puis passai au programme numéro deux. Invisibles mais décidément expertes, les mains se firent encore plus délicates, exerçant tout à la fois une pression continue et progressive le long de ma colonne vertébrale. Cette fois, une vague délicieuse de picotements me submergea. Je frissonnais de partout et sentais mon pénis durcir sous la montée du plaisir. Je zappai encore. Le troisième programme démarra avec de petits mouvements circulaires dans le bas de mon dos. J’avais l’impression que des milliers de petits doigts couraient sur ma peau. L’intensité variait de manière aléatoire et provoquait des flots de chaleur qui m’envahissaient par intermittence. Ces petites rotations me procuraient une ivresse sans nom. Cela allait crescendo puis s’appesantissait en des points particuliers que je n’aurais pu localiser, mais qui me firent soudain gémir de plaisir. Oh, comme c’était bon. Bon sang, quel pied ! Ce truc était vraiment génial. |
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